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blog de Ségou
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21 juin 2009

Bongo:O happy day

bongo_1Jeudi 18.6.2009 Omar Bongo a rejoint sa dernière demeure. Toute existence humaine a décidément une fin. Omar a vécu. Si par un improbable hasard, je devais affecter la moindre émotion, ma mimique évoquerait l’expression du choriste exalté entonnant un « O happy day » plutôt que celle de la veuve éplorée coiffée d’un foulard, le visage couvert de cendre. Et qu’on ne me parle pas de respect dû aux morts. Bongo l’a démérité tout au long de son règne. Et sa famille et ses proches ? Ma compassion ne va qu’à ceux qui en ont eux-mêmes eue pour chaque Gabonais mort de n’avoir pas eu la possibilité de choisir entre un hôpital privé barcelonais et les structures sanitaires indigentes de son pays.

Par contre je ne peux pas faire l’économie de la réflexion autour de la disparition du dictateur. Une réflexion organisée autour de cette question : quel Gabon dans quelle Afrique laisse celui qui a régné sur ce pays pendant quarante deux ans au cours desquels il a œuvré avec acharnement à la désunion du contient ? Récemment au cours d’une émission du service public français consacrée au bonhomme, j’entendais des journalistes français parler des prodigalités de cet « ami gabonais » qui ne s’embarrassait pas des démarcations politiques et gratifiait de ses pétrodollars aussi bien les politiciens de gauches que de droite français ,des centres aux extrêmes. Il alimentait aussi semble-t-il les oppositions africaines, y compris celle de son propre pays. Mais on n’insistait peu sur ce que les liasses ainsi distribuées, les richesses ainsi dilapidées n’étaient ni des revenus du travail ni un quelconque héritage privé mais bien le patrimoine national.

Une communication anachronique : bong_quir

La communication officielle rendant compte des derniers jours de Bongo est significative de la philosophie du pouvoir dans ce pays. Tout mensonge officiel est vérité inattaquable. Ainsi les officiels se sont retrouvés acculés à devoir annoncer un décès avant même d’avoir reconnu que le concerné, qui n’était officiellement en Espagne que pour un petit bilan de santé, était malade. Au passage ils s’en sont pris au ministre espagnol des Affaires Etrangères - à qui reproche était fait d’avoir reconnu que « l’immortel » Bongo était malade - et ont théâtralisé l’indignation en menaçant la France d’une plainte officielle au motif qu’un organe de presse de ce pays avait annoncé le décès d’un mortel. En s’empressant de bénéficier loin de ses compatriotes d’une qualité de soins dont ces derniers ne peuvent profiter dans leur écrasante majorité, Bongo n’avait sans doute pas mesuré les implications possibles d’un tel choix. Il avait en effet perdu de vue la réalité que dans ces autres pays tout homme quelle que soit sa puissance pouvait faire l’objet d’une enquête sur sa santé. Que de ce fait il était plus facile pour les officiels de faire la clarté sur la maladie que de la taire. Quitte à ne pas dire toute la vérité (Bongo souffrait-il vraiment d’un problème intestinal ?).

Paix sociale n’est pas sérénité sociale :

Les escapades européennes des dirigeants africains pour raison de santé en disent long non seulement sur le niveau de l’infrastructure sanitaire, notoirement médiocre pour dire le moins, mais aussi sur la sérénité régnant dans ces pays, au-delà des mensonges grandiloquents sur la paix sociale. Ces sorties, contre tous les discours sur les hautes réalisations de ces dirigeants – claironnés à l’envie à longueur de règne par les dirigeants eux-mêmes ou par des griots à la solde – disent à quel point l’outil de santé est peu développé, certes. Mais ils renseignent aussi sur la garanti de paix dont font souvent commerce ceux qui n’ont rien réussi en plusieurs décennies de règne. Eyadema serait mort dans un avion le conduisant en France pour la prise en charge d’une décompensation cardiaque aiguë. N’y avait-il pas au Togo un médecin qui pût prendre en charge cette affection ? Sans doute que si. Le premier président camerounais, Feu Amadou Ahidjo, avait abdiqué sur le mensonge de ses médecins français qui lui avaient annoncé une leucémie le condamnant à court terme. On sait depuis que l’espérance de vie prévue et/ou le diagnostic étaient des mensonges inspirés par des cénacles politiques. La gauche arrivant au pouvoir en 1981 en France ne voulait pas de cette fabrication des réseaux Foccart. Ces exemples ne révèlent pas seulement le faible niveau de développement réel de l’outil médical. Ils permettent aussi de relativiser la notion de paix sociale, bien différente de la sérénité sociale. Le havre de paix dont il est souvent question dans les discours officiels correspond à un encadrement sécuritaire et militaire de la population dont les buts sont de prévenir toute velléité contestataire mais aussi toute initiative qui ne soit le fait du chef. Il ne renvoie pas du tout à des espaces sereins où chaque citoyen peut s’en remettre à chaque agent de l’état ou à tout autre concitoyen, assuré que l’action de ce dernier respectera les règles éthiques et morales de sa profession ou de sa fonction sociale. Ici le chef craint en permanence pour sa vie. Est conscient de sa fragilité dès lors qu’elle dépend de considérations dont la répression ne peut le protéger. Alors il préférera avoir des soignants à des milliers de kilomètres. Présumé que ceux-là seraient plus respectueux de la déontologie que ses compatriotes, même à compétence égale et pour des affections nécessitant des moyens immédiatement disponibles ou facilement mobilisables.

Fin de règne :

Une autre question qui a intéressé les journalistes - notamment français - concerne les raisons qui ont poussé Bongo à ne pas choisir la France pour ses soins. Revenaient en guise de réponse la médiatisation récente des accusations intentées en justice contre lui en France et les fâcheries exprimées au Gabon. On ne peut pas faire dépendre à ce point son honneur - comme l’ont fait Bongo et tant d’autres fantoches de la France en Afrique – de la bienveillance de l’autre sans s’attendre qu’un jour on perde la maîtrise de sa propre image. Pourtant Bongo avait l’exemple illustre de Mobutu du Zaïre à qui la France avait fermé les portes de ses frontières et donc de ses hôpitaux alors qu’il errait comme un apatride, chassé du pouvoir par des bouts d’hommes verts, la prostate rongée par un cancer qui allait lui être fatal. Mais sûr du pouvoir qu’il croyait garanti par ses réseaux et les secrets qu’il détenait sur l’establishment politique français, il a persisté à ne pas prendre en compte ce fait pourtant simple qu’un Gabon développé augmenterait son pouvoir. Il a continué à investir dans ses relations l’argent qui aurait pu améliorer le système sanitaire de son pays et le rendre moins dépendant. Et puis sont apparues ces signes avant coureur de fin de règne. Ces mises en accusation autrefois inimaginables qui disent ou bien que le réseau s’est fragilisé, ou bien qu’on ne pèse plus de tout son poids sur celui-ci.

Succession incertaine :

Comme dans le Zaïre de l’après-Mobutu, la Côte-d’Ivoire de l’après-Houphouët ou le Togo de l’après-Eyadema père, la succession au Gabon s’annonce incertaine. Pourtant le mollah Omar aurait pu tirer des leçons de ces précédents pour tirer une révérence honorable dans un pays qu’il aurait doté de mécanismes sains de transmission de pouvoir. La transmission dont question ici ne se limite pas à édicter des règles abstraites, faites d’une assemblée bicamérale dans un pays de moins de deux millions d’habitants, l’intérim présidentiel dévolu au président du sénat en cas de vacance du pouvoir. Elle s’étend à la vitalité insufflée réellement à ces textes souvent « copier-coller » de Constitutions d’autres nations. Au lieu d’une telle vitalité, Bongo s’est évertué à affaiblir toute opposition par la menace, la cooptation, la discréditation. Rendant impossible l’émergence d’un personnel politique compétent et capable de se vendre par ses propositions à un peuple averti. Au sein de son parti, il a travaillé à être la garantie de tous les intérêts qu’on pouvait tirer du système, jouant des et arbitrant les oppositions internes au lieu de les encourager sur le terrain des idées. En dehors de son parti, il a œuvré à décrédibiliser ses opposants en les entrainant à la « mangeoire » ou à harceler ceux qui ne cédaient pas à la tentation de la compromission. Le résultat … on retient son souffle. Quelle sera l’intensité de la guerre de succession ? Sera-ce un scénario à l’ivoirienne ou à la togolaise qui s’imposera en fin de compte ? Si le parti du défunt chef trouve un consensus en la personne du fils du défunt, comment réagira la population - et notamment si apparait un candidat d’opposition à même d’empêcher une succession monarchique ? Autant de questions présageant de lendemains incertains. Dans quel délai pourra être organisée la consultation devant ouvrir sur la fin de l’intérim. Tout le monde, opposition et système, est d’accord sur la réalité qu’aucune élection fiable ne peut être organisée dans le délai constitutionnel de quarante cinq jours. Pour cause : la nécessité de refonte du fichier électoral. Le doigt est ,non intentionnellement, mis sur un autre échec de Bongo – le plus compromettant de mon point de vue pour la modernisation du pays. Faute d’avoir mis en place un registre national fiable, préférant les bricolages d’avant élection (pour la constitution du fichier électoral), il laisse un pays où il faut administrativement repartir de zéro à chaque nouveau scrutin.

Panafricanisme :

Sur la scène africaine, à défaut d’une trace indélébile, on retient à l’actif du défunt son activisme de médiateur. Qui caressait aussi bien son frère de clan Kolela que son beau-père Sassou Nguessou au Congo, finançant sans doute les deux, dans la guerre laide qui vit le dernier revenir au pouvoir par la force des armes. La diplomatie si fructueuse du Gabon était d’abord la diplomatie de Bongo. Et s’il parvenait à engranger les résultats qu’on lui reconnaît c’est grâce aux mêmes techniques dispendieuses du bien public mis au service de l’achat d’amitiés et de la construction de réseaux occultes. En outre, il a activement participé à la mort de la belle utopie du panafricanisme. Jaloux de la souveraineté de son micro-état pour lequel il relevait de la plus inaliénable souveraineté d’entretenir une compagnie aérienne internationale, une école de médecine et d’autres outils coûteux encore, en même temps que le voisin camerounais pour ne s’en tenir qu’à celui-là. Alors qu’une meilleure politique eût été d’éviter la redondance en certains domaines, en mutualisant les coûts, telle que les pères-fondateurs de l’idée panafricaniste l’avaient judicieusement imaginée. Au lieu de ça les deux Etats ont jalousement maintenu deux compagnies aériennes internationales toutes deux en faillite – pour ne s’en tenir qu’à l’exemple de l’aviation.

Égocentrisme :

bongo_2Si les quarante années de règne de Bongo sont un fiasco eu égard aux possibilités qu’une telle longévité et une telle stabilité permettent, c’est que Bongo était au centre de l’action de Bongo. Il était à tout instant l’initiateur et le principal bénéficiaire de ses actes, y compris cette légendaire générosité de filou que vantent ceux qui en bénéficièrent. Sa prodigalité n’avait pour but que de créer des obligés à Bongo. Sa soumission à la France n’avait pour finalité que la contre partie de protection militaire que ce pays lui assurait. En arbitrant les oppositions au sein de sa propre formation politique, il renforçait son rôle de chemin obligé vers tous les profits que les uns et les autres pouvaient tirer du système qu’il avait mis en place et qu’il entretenait. En finançant des adversaires dans des conflits armés, il s’aménageait le rôle de l’interlocuteur et pouvait ensuite se poser en médiateur. En décrédibilisant ses adversaires politiques à l’intérieur par des mesures d’ouverture ou de cooptation, il renforçait sa propre stature. Bongo au service de lui même. Point d’un intérêt national qui eut par exemple exigé de lui la construction d’hôpitaux sûrs pour tous. La construction d’une culture diplomatique susceptible de survivre à son initiateur.Et les généreuses réflexions dues à Kouchner sur un système de santé devaient avoir davantage à voir avec Bongo venant en aide à un ami au « chômage » dont on peut faire du même coup un obligé qu’avec la réelle volonté de mettre en place un système de santé performant.

Bongo s’en est donc allé. Un indispensable de plus a posé définitivement ses valises dans un cimetière. Pâture comme c’est notre finalité d’humain aux mites et autres insectes nécrophages. Trouble à son âme !

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Commentaires
S
Eh oui! L'attitude de Bongo que tu relates ici me fait penser à le description d'un arnaqueur investi en politique que fait Soyinka dans "Les années pagaille" et qu'on désigne "penklism" (ou quelque chose du genre) en pidgin nigérian. Un homme sans scrupule capable par exemple de promettre une lutte sans merci contre la corruption. Le tout énoncé du toit d'une luxueuse voiture hors de portée d'un fonctionnaire honnête même sur plusieurs générations. Le même esprit que décrivait Jean François Kahn, dans un numéro récent de Marianne, quand il fait rien moins que désigner Sarkozy comme "le voyou" de la république. Bongo pour moi n'est qu'un voyou. Comme son beau-fils. Comme leur compère qui manage depuis 28 ans la paupérisaion du Cameroun, mon pays...<br /> Paix à toi!
O
Ils ne sont pas nombreux sur la toile qui ont pris le temps d'aborder ces différentes facettes de celui que certains gabonais appelaient affectueusement "Ya Omar". Moi-même, j'avoue que je ne me suis pas lancé dans ce bel exercice.<br /> Je m'attellerai sur l'aspect "panafricanisme" qui me tient à coeur. Lors d'une conférence d'un chercheur africain à Paris (lui-même panafricain convaincu), en 2007, le bonhomme nous relatera une conversation qu'il eut avec le Mollah Omar de Lewaï:<br /> <br /> - Où en êtes-vous, Monsieur le président avec le Plan de Lagos ? <br /> - Quel plan de Lagos ?<br /> - Mais Monsieur le président, celui que vous avez signé en 1980.<br /> - Ah ! bon ?<br /> - Mais oui.<br /> - Et il parlait de quoi ?<br /> - Construire des routes sur le continent etc.<br /> - Laisse-moi ces histoires de Lagos et de routes. Chez moi-même je ne construis pas de route et toi tu vas me parler de routes africaines.<br /> <br /> Dois-je ajouter aussi l’apport non moins important de cet homme lors de la Guerre du Biafra en 1967 ?<br /> <br /> Tout était dit.<br /> <br /> Que son âme repose en paix.<br /> <br /> Obambé GAKOSSO
S
Les différents points analysés ici sont fort intéressants et justes. Mais je ne voudrais en retenir qu'un seul : l'état politique dans lequel Bongo comme Houphouët-Boigny ou Mobutu ont laissé leur pays.<br /> Je me demande toujours si c'est l'égoïsme ou l'étroitesse de vue qui fait que les présidents africains qui passent de nombreuses années au pouvoir sont incapables de penser à mettre en place des règles précises d'accession au pouvoir suprême ; c'est à dire une constitution crédible, viable parce que praticable et qu'ils expériment eux-mêmes. Si Houphouët-Boigny et Bongo avait mis en place une constitution crédible et se seraient retirés du pouvoir pour la voir mise en oeuvre à la manière d'un artiste qui prend de la distance avec la toile pour mieux apprécier son oeuvre, je suis sûr que la légitimité qu'ils avaient acquise à leur début leur aurait permis d'être, dans l'ombre, des conseillers éclairés de leur pays de leur vivant. Malheureusement, avec le temps, cette légitimité a été contestée au point où ils ont vécu en veillant à ne pas tomber de leur piédestal. C'est bien triste pour un chef d'état de finir ainsi. Oui, finir sa vie en ayant brûlé le capital confiance de son peuple est la pire des choses pour un dirigeant politique.
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